Avant-propos et remerciements
(Cet extrait est tiré de la section « Avant-propos et remerciements » du livre Plus aucun enfant autochtone arraché : Pour en finir avec le colonialisme médical canadien)
J’ai écrit la majeure partie de ce livre au cours de l’été 2019. Le travail d’édition s’est déroulé dans les premiers mois de 2020, alors que le Canada était le théâtre d’un vaste mouvement de solidarité avec la Nation Wet’suwet’en, qui défendait son territoire contre le projet de gazoduc Coastal GasLink de TC Energy, épisode suivi par la pandémie de COVID-19, qui a mis au jour et approfondi les lignes de faille de l’injustice sociale à l’échelle de la planète. J’ai reçu les épreuves du livre au moment où, aux États-Unis, la police venait d’assassiner sauvagement George Floyd – un crime qui a provoqué des soulèvements dans de nombreux pays, entre autres contre le racisme systémique. Lors d’une manifestation du mouvement Black Lives Matter, une remarque de la fille de Floyd, âgée de six ans, est devenue virale : « Papa a changé le monde. »
La traduction française du livre était en cours de finalisation lorsqu’une vidéo partagée par Joyce Echaquan, du la collectivité atikamekw de Manawan, a fait les manchettes dans le monde entier. La vidéo qu’elle a tournée – quelques instants avant sa mort – a mis au jour la violence brutale, raciste et sexiste dont elle était victime, en tant que femme autochtone, de la part de membres du personnel de l’hôpital de Joliette. Elle a laissé dans le deuil toute une communauté, dont ses sept enfants. Afin de lui rendre hommage, ses proches et le Conseil des Atikamekw de Manawan, en collaboration avec le Conseil de la Nation Atikamekw, ont énoncé le « principe de Joyce », qui vise à garantir aux Autochtones « le droit d’avoir accès, sans aucune discrimination, à tous les services sociaux et de santé, ainsi que le droit de jouir du meilleur état possible de santé physique et mentale ». Il ne m’a pas été possible d’inclure dans ces pages les nombreuses questions soulevées par ces événements importants, mais ceux-ci soulignent l’urgence de construire un monde nouveau si nous souhaitons assurer la survie de l’humanité et mener des vies qui ont un sens. Un monde nouveau dont l’empathie, la coopération, l’entraide, la solidarité, le respect de la dignité humaine et l’harmonie avec l’environnement seraient des valeurs fondamentales. Ici même au Canada, les efforts de décolonisation font partie des voies qu’il faut emprunter pour y arriver.
Les discours de reconnaissance des territoires occupés, non cédés ou traditionnels des peuples autochtones sont plus courants qu’ils l’étaient il y a dix ans. Mais ils se limitent trop souvent à des rituels creux, observés au début d’une activité publique, ou à quelques lignes copiées-collées dans une note de bas de page. Nous nous plaisons à croire que le fait de prendre quelques secondes pour reconnaître les injustices coloniales du passé nous permet d’agir de façon responsable aujourd’hui. S’engager résolument pour la décolonisation implique cependant de prendre position de façon plus explicite et plus transparente. En écrivant ce livre, je me suis efforcé de faire preuve d’une rigueur intellectuelle ancrée dans un engagement pour la décolonisation et la justice sociale.
L’essentiel de mon travail de recherche et d’écriture s’est déroulé à Tio’tia:ke (Montréal), mais j’en ai effectué une partie ailleurs, dans le sud du Québec, le sud de l’Ontario et nord-est des États-Unis, sur les territoires traditionnels de plusieurs nations autochtones, dont les Abénakis, les Anishinaabeg, les Haudenosaunee (ou Confédération iroquoise ou Six-Nations), les Hurons-Wendats, les Nanticoke Lenni-Lenape, les Métis, les Mississaugas de la Première Nation Credit, les Ramapough Lenape et les Wyandots. Les discours de reconnaissance ne devraient toutefois pas se limiter au lieu où nous vivons et travaillons, et devraient inclure les territoires autochtones où sont exploitées les ressources dont nous bénéficions. Par exemple, l’électricité distribuée dans tout le Québec par Hydro-Québec alimente les appareils électroniques, les bases de données et l’accès à internet que j’ai utilisés pour écrire ce livre. Pourtant, comme je l’explique dans le chapitre 14, plus de 80 % de l’hydroélectricité de la province est produite sur les territoires des Eeyou, Innus, Inuit et Naskapis. Mon discours de reconnaissance territoriale tient compte de cette réalité.
Je tiens aussi à souligner le courage des aidants et des parents […] qui ont pris la parole pendant la campagne « Tiens ma main » pour dénoncer la pratique de non-accompagnement du gouvernement et ses conséquences sur leurs enfants. Ces personnes se sont exprimées non pas pour effacer le traumatisme qu’elles ont subi, mais plutôt pour que cesse la séparation forcée des familles et que les générations futures n’en souffrent plus. Pour honorer leur solidarité, les droits d’auteur issus de la vente de ce livre sont versés à des groupes et à des initiatives qui soutiennent l’autodétermination des peuples autochtones et veillent à la santé et au bien-être des enfants et des jeunes autochtones […].